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Corpus "ZolaGerminal-GS"

Author: Emile Zola
Title: Germinal
Publisher: Librairie Générale Française (2000), ISBN 9782253004226
Chapter 1

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À son tour, de son bras tendu, il désignait dans la nuit le village dont le jeune homme avait deviné les toitures.
Alors, en courtes phrases, l'haleine coupée, tous deux continuèrent à se plaindre.
Alors, l'homme reconnut une fosse.
Au lieu de se diriger vers les bâtiments, il se risqua enfin à gravir le terri sur lequel brûlaient les trois feux de houille, dans des corbeilles de fonte, pour éclairer et réchauffer la besogne.
Aucune ombre d'arbre ne tachait le ciel, le pavé se déroulait avec la rectitude d'une jetée, au milieu de l'embrun aveuglant des ténèbres.
Bonnemort ouvrit tout grands les deux bras.
Brusquement, à un coude du chemin, les feux reparurent près de lui, sans qu'il comprît davantage comment ils brûlaient si haut dans le ciel mort, pareils à des lunes fumeuses.
Ce dernier, en effet, n'en disait pas si long d'habitude.
Cette fois, il n'amenait que trois berlines.
Cette fosse, tassée au fond d'un creux, avec ses constructions trapues de briques, dressant sa cheminée comme une corne menaçante, lui semblait avoir un air mauvais de bête goulue, accroupie là pour manger le monde.
Ceux-ci, les batteries de cent cheminées plantées obliquement, alignaient des rampes de flammes rouges ; tandis que les deux tours, plus à gauche, brûlaient toutes bleus en plain ciel, comme des torches géantes.
C'était d'une tristesse d'incendie, il n'y avait d'autres levers d'astres, à l'horizon menaçant, que ces feux nocturnes des pays de la houille et du fer.
C'était une masse lourde, un tas écrasé de constructions, d'où se dressait la silhouette d'une cheminée d'usine; de rares lueurs sortaient des fenêtres encrassées, cinq ou six lanternes tristes étaient pendues dehors, à des charpentes dont les bois noircis alignaient vaguement des profils de tréteaux gigantesques; et, de cette apparition fantastique, noyée de nuit et de fumée, une seule voix montait, la respiration grosse et longue d'un échappement de vapeur, qu'on ne voyait point.
Dans la plaine rase, sous la nuit sans étoiles, d'une obscurité et d'une épaisseur d'encre, un homme suivait seul la grande route de Marchiennes à Montsou, dix kilomètres de pavé coupant tout droit, à travers les champs de betteraves.
Depuis une heure, il avançait ainsi, lorsque sur la gauche, à deux kilomètres de Montsou, il aperçut des feux rouges, trois brasiers brûlant au plein air, et comme suspendus.
Devant lui, il ne voyait même pas le sol noir, et il n'avait la sensation de l'immense horizon plat que par les souffles du vent de mars, des rafales larges comme sur une mer, glacées d'avoir balayé des lieues de marais et de terres nues.
Du reste, comme son cheval qui demeurait immobile sur les pieds, sans paraître souffrir du vent, il semblait en pierre, il n'avait l'air de se douter ni du froid, ni des bourrasques sifflant à ses oreilles.
D'abord, il hésita, pris de crainte ; puis, il ne put résister au besoin douloureux de se chauffer un instant les mains.
En bas du terri, un silence s'était fait, les moulineurs n'ébranlaient plus les tréteaux d'un roulement prolongé.
Enfin, il cracha, et son crachat, sur le sol empourpré, laissa une tache noire.
Étienne le regardait, regardait le sol qu'il tachait de la sorte.
Étienne racontait ses courses inutiles depuis une semaine ; il fallait donc crever de faim ? bientôt les routes seraient pleines de mendiants.
Étienne, qui s'oubliait devant le brasier à chauffer ses pauvres mains saignantes, regardait, retrouvait chaque partie de la fosse, le hangar goudronné du criblage, le beffroi du puits, la vaste chambre de la machine d'extraction, la tourelle carrée de la pompe d'épuisement.
Et, de sa main tendue de nouveau, il désigna dans les ténèbres des points invisibles, à mesure qu'il les nommait.
Et, là-haut, le vent redoublait, une bise glaciale, dont les grandes haleines régulières passaient comme des coups de faux.
Et, les yeux errants, il s'efforçait de percer les ombres, tourmenté du désir et de la peur de voir.
Il cracha, il repartit derrière son cheval somnolent, après l'avoir attelé aux berlines vides.
Il était petit, le cou énorme, les mollets et les talons en dehors, avec de longs bras dont les mains carrées tombaient à ses genoux.
Il fallait que le visage de l'inconnu lui convînt et qu'il fût pris d'une de ces démangeaisons de confidences, qui font parfois causer les vieilles gens tout seuls, à haute voix.
Il fit environ deux cent pas.
Il fut repris de honte : à quoi bon ? il n'y aurait pas de travail.
Il marchait d'un pas allongé, grelottant sous le coton aminci de sa veste et de son pantalon de velours.
Il s'expliquait jusqu'à l'échappement de la pompe, cette respiration grosse et longue, soufflant sans relâche, qui était comme l'haleine engorgée du monstre.
La corbeille de feu, maintenant, éclairait en plein sa grosse tête, aux cheveux blancs et rares, à la face plate, d'une pâleur livide, maculée de taches bleuâtres.
Là-bas, à Montsou, la sucrerie Fauvelle marchait encore, mais la sucrerie Hoton venait de réduire son personnel, il n'y avait guère que la minoterie Dutilleul et la corderie Bleuze pour les câbles de mine, qui tinssent le coup.
Le manoeuvre du culbuteur, gonflant le dos, n'avait pas même levé les yeux sur Étienne, et celui-ci allait ramasser son petit paquet tombé à terre, lorsqu'un accès de toux annonça le retour du charretier.
Le manoeuvre employé au culbuteur, un gaillard roux et efflanqué, ne se pressait guère, pesait sur le levier d'une main endormie.
Le manoeuvre, après avoir vidé les berlines, s'était assis à terre, heureux de l'accident ; et il gardait sa sauvagerie muette, il avait simplement levé de gros yeux éteints sur le charretier, comme gêné par tant de paroles.
Le vieux cracha noir, puis répondit dans le vent : « Oh! ce ne sont pas les fabriques qui manquent. Fallait voir ça, il y a trois ou quatre ans ! Tout ronflait, on ne pouvait trouver des hommes, jamais on n'avait tant gagné... Et voilà qu'on se remet à se serrer le ventre. Une vraie pitié dans le pays, on renvoie le monde, les ateliers ferment les uns après les autres... Ce n'est peut-être pas la faute de l'empereur ; mais pourquoi va-t-il se battre en Amérique? Sans compter que les bêtes meurent du choléra, comme les gens. »
Le vieux eut un ricanement d'aise, et montrant le Voreux : « Oui, oui… On m'a retiré trois fois de là-dedans en morceaux, une fois avec tout le poil roussi, une autre avec de la terre jusque dans le gésier, la troisième avec le ventre gonflé d'eau comme une grenouille… Alors, quand ils ont vu que je ne voulais pas crever, ils m'ont appelé Bonnemort, pour rire. »
Le vieux, cette fois, ne put répondre.
Le Voreux, à présent, sortait du rêve.
Lentement, Bonnemort s'essuyait la bouche d'un revers de main.
Lentement, on le vit sortir de l'ombre, suivi du cheval jaune, qui montait six nouvelles berlines pleines.
Les flammes l'éclairaient, il devait avoir vingt et un ans, très brun, joli homme, l'air fort malgré ses membres menus.
Les ouvriers de la coupe à terre avaient dû travailler tard, on sortaient encore les déblais inutiles.
Les rafales s'étaient enragées, elles semblaient apporter la mort du travail, une disette qui tuerait beaucoup d'hommes.
Les ténèbres demeuraient profondes, mais la main du vieillard les avait comme emplies de grandes misères, que le jeune homme, inconsciemment, sentait à cette heure autour de lui, partout, dans l'étendu sans bornes.
Leurs voix se perdaient, des bourrasques emportaient les mots dans un hurlement mélancolique.
L'homme avait à droite une palissade, quelque mur de grosses planches fermant une voie ferrée ; tandis qu'un talus d'herbe s'élevait à gauche, surmonté de pignons confus, d'une vision de village aux toitures basses et uniformes.
L'homme était parti de Marchiennes vers deux heures.
L'homme, qui se sentait regardé d'un oeil méfiant, dit son nom tout de suite.
Maintenant, Étienne dominait le pays entier.
Maintenant,il entendait les moulineurs pousser les trains sur les tréteaux, il distinguait des ombres vivantes culbutant les berlines, près de chaque feu.
Mais il répondit non de la tête, violemment.
Mais les six berlines étaient vides, il les suivit sans un claquement de fouet, les jambes raidies par des rhumatismes ; tandis que le gros cheval jaune repartait tout seul, tirait pesamment entre les rails, sous une nouvelle bourrasque, qui lui hérissait le poil.
Mais, au ras du sol, un autre spectacle venait de l'arrêter.
N'était-ce pas un cri de famine que roulait le vent de mars, au travers de cette campagne nue ?
On entendait seulement sortir de la fosse le bruit lointain d'un marteau, tapant sur de la tôle.
On pouvait toujours culbuter celles-là : un accident arrivé à la cage d'extraction, un écrou cassé, allait arrêter le travail pendant un grand quart d'heure.
Oui, c'était bien une fosse, les rares lanternes éclairaient le carreau, une porte brusquement ouverte lui avait permis d'entrevoir les foyers des générateurs, dans une clarté vive.
Oui, disait le vieillard, ça finirait par mal tourner, car il n'était pas Dieu permis de jeter tant de chrétiens à la rue.
Puis, d'un geste large, il indiqua, au nord, tout une moitié de l'horizon : les ateliers de construction Sonneville n'avaient pas reçu les deux tiers de leurs commandes habituelles ; sur les trois haut fourneaux des Forges de Marchiennes, deux seulement étaient allumés : enfin, à la verrière Gagebois, une grève menaçait, car on parlait d'une réduction de salaire.
Puis, Étienne demanda, en montrant le tas sombre des constructions, au pied du terri : « C'est une fosse, n'est-ce pas ? »
Puis, quand il put parler : « Non, non, je me suis enrhumé, l'autre mois. Jamais je ne toussais, à présent je ne peux plus me débarasser ... Et le drôle, c'est que je crache, c'est que je crache ... »
Quand il eut toussé, la gorge arrachée par un raclement profond, il cracha au pied de la corbeille, et la terre noircit.
Rassuré, le charretier hochait la tête.
Rien, plus un sou, pas même une croûte : qu'allait-il faire ainsi par les chemins, sans but, ne sachant seulement où s'abriter contre la bise ?
Sa gaieté redoubla, un grincement de poulie mal graissée, qui finit par dégénérer en un accès terrible de toux.
Tandis qu'il parlait, des morceaux de houille enflammés, qui par moments, tombaient de la corbeille, allumaient sa face blême d'un reflet sanglant.
Tournant le dos au brasier, le charretier était debout, un vieillard vêtu d'un tricot de laine violette, coiffé d'une casquette en poil de lapin ; pendant que son cheval, un gros cheval jaune, attendait, dans une immobilité de pierre, qu'on eût vidé les six berlines montées par lui.
Tout disparut.
Tout en l'examinant, il songeait à lui, à son existence de vagabond, depuis huit jours qu'il cherchait une place ; il se revoyait dans son atelier du chemin de fer, giflant son chef, chassé de Lille, chassé de partout ; le samedi, il était arrivé à Marchiennes, où l'on disait qu'il y avait du travail, aux Forges ; et rien, ni aux Forges, ni chez Sonneville, il avait dû passer le dimanche caché sous les bois d'un chantier de charronnage, dont le surveillant venait de l'expulser à deux heures de la nuit.
Tout s'anéantissait au fond de l'inconnu des nuits obscures, il n'apercevait, très loin, que les hauts fourneaux et les fours à coke.
Un chemin creux s'enfonçait.
Un petit paquet, noué dans un mouchoir à carreaux, le gênait beaucoup ; et il le serrait contre ses flancs, tantôt d'un coude, tantôt de l'autre, pour glisser au fond de ses poches les deux mains à la fois, des mains gourdes que les lanières du vent d'est faisaient saigner.
Un raclement monta de sa gorge, il cracha noir.
Un silence se fit.
Un violent accès de toux l'étranglait.
Une crise de toux l'interrompit encore.
Une rafale leur coupa la parole.
Une seule idée occupait sa tête vide d'ouvrier sans travail et sans gîte, l'espoir que le froid serait moins vif après le lever du jour.
- C'est un surnom ? demanda Étienne étonné.
« Bonjour », dit-il en s'approchant d'une des corbeilles.
« Bonjour », répondit le vieux.
« Du travail pour un machineur, non, non... Il s'en est encore présenté deux hier. Il n'y a rien. »
« Est-ce que c'est du sang ? » demanda Étienne, osant enfin le questionner.
« Et ça vous fait tousser aussi ? » dit Étienne.
« Il y a des fabriques à Montsou ? » demanda le jeune homme.
« Il y a longtemps, reprit-il, que vous travaillez à la mine ? »
« Ils me disent de me reposer, continua-t-il. Moi, je ne veux pas, ils me croient trop bête ! J'irai bien deux années, jusqu'à ma soixantaine, pour avoir la pension de cent quatre-vingt francs. Si je leur souhaitais le bonsoir aujourd'hui, ils m'accorderaient tout de suite celle de cent cinquante. Ils sont malins, les bougres ! D'ailleurs, je suis solide, à part les jambes. C'est, voyez-vous, l'eau qui m'est entrée sous la peau, à force d'être arrosé dans les tailles. Il y a des jours où je ne peux pas remuer une patte sans crier. »
« Je me nomme Étienne Lantier, je suis machineur... Il n'y a pas de travail ici ? »
« Je sais, je sais, répétait le jeune homme à chaque indication. J'en viens. - Nous autres, ça va jusqu'à présent, ajouta le charretier. Les fosses ont pourtant diminué leur extraction. Et regardez, en face, à la Victoire, il n'y a aussi que deux batteries de fours à coke qui flambent. »
« Longtemps, ah ! oui !... Je n'avais pas huit ans, lorsque je suis descendu, tenez ! juste dans le Voreux, et j'en ai cinquante-huit, à cette heure. Calculez un peu… J'ai tout fait là-dedans, galibot d'abord, puis herscheur, quand j'ai eu la force de rouler, puis haveur pendant dix-huit ans. Ensuite, à cause de mes sacrées jambes, ils m'ont mis de la coupe à terre, remblayeur, raccommodeur, jusqu'au moment où il leur a fallu me sortir du fond, parce que le médecin disait que j'allais y rester. Alors, il y a cinq années de cela, ils m'ont fait charretier… Hein ? c'est joli, cinquante ans de mine, dont quarante-cinq au fond ! »
« Moi, dit-il, je suis de Montsou, je m'appelle Bonnemort. »
« Non, je suis du Midi », répondit le jeune homme.
« On n'a pas de la viande tous les jours. - Encore si l'on avait du pain ! - C'est vrai, si l'on avait du pain seulement ! »
« Oui, une fosse, le Voreux... Tenez ! le coron est tout près. »
« Tenez ! reprit très haut le charretier en se tournant vers le midi. Montsou est là... »
« Vous êtes peut-être de la Belgique ? » reprit derrière Étienne le charretier, qui était revenu.

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