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Corpus "CamusStrainger-GS"

Author: Albert Camus
Title: L'Étranger
Publisher: Gallimard (1942), ISBN 9782072102578
Part 1, Chapter 1

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À ce moment je l'ai interrompu : « Ah ! Vous n'êtes pas d'ici ? »
À ce moment le concierge m'a dit : « C'est un chancre qu'elle a. »
À ce moment, le concierge est entré derrière mon dos.
A cette heure, ils se levaient pour aller au travail : pour moi c'était toujours l'heure la plus difficile.
À côté d'elle, il y avait l'ordonnateur, petit homme aux habits ridicules, et un vieillard à l'allure empruntée.
À la hauteur du nez, le bandeau était plat.
A la longue, j'ai fini par deviner que quelques-uns d'entre les vieillards suçaient l'intérieur de leur joues et laissaient échapper ces clappements bizarres.
A la porte d'un petit bâtiment, le directeur m'a quitté : « Je vous laisse, monsieur Meursault. Je suis à votre disposition dans mon bureau. En principe, l'enterrement est fixé à dix heures du matin. Nous avons pensé que vous pourrez ainsi veiller la disparue. Un dernier mot : votre mère a, paraît-il, exprimé souvent à ses compagnons le désir d'être enterrée religieusement. J'ai pris sur moi de faire le nécessaire. Mais je voulais vous en informer. »
A Paris on reste avec le mort trois, quatre jours quelquefois.
À partir de ce moment, tout est allé très vite.
A présent c'était le silence de tous ces gens qui m'était pénible.
À travers les lignes de cyprès qui menaient aux collines près du ciel, cette terre rousse et verte, ces maisons rares et bien dessinées, je comprenais maman.
À un moment donné, nous sommes passés sur une partie de la route qui avait été récemment refaite.
À un moment, il a observé : « Voilà déjà le curé de Marengo. Il est en avance. »
À un moment, il m'a dit : « Vous savez, les amis de Madame votre mère vont venir la veiller aussi. C'est la coutume. Il faut que j'aille chercher des chaises et du café noir. »
Ainsi, je pourrai veiller et je rentrerai demain soir.
Alors, tortillant sa moustache blanche, il a déclaré sans me regarder : « Je comprends. »
Après l'enterrement, au contraire, ce sera une affaire classée et tout aura revêtu une allure plus officielle.
Après un assez long moment, il m'a renseigné sans me regarder : « Elle était très liée avec madame votre mère. Elle dit que c'était sa seule amie ici et que maintenant elle n'a plus personne. »
Au bout de quelques mois, elle aurait pleuré si on l'avait retirée de l'asile.
Au bout d'un moment, il m'a regardé et il m'a demandé : « Pourquoi ? » mais sans reproche, comme s'il s'informait.
Au tournant il nous avait rejoints.
Aujourd'hui maman est morte.
Aujourd'hui, le soleil débordant qui faisait tressaillir le paysage le rendait inhumain et déprimant.
Autour de moi c'était toujours la même campagne lumineuse gorgée de soleil.
Autour d'elle, les quatre hommes.
Au-dessus de la voiture, le chapeau du cocher, en cuir bouilli, semblait avoir été pétri dans cette boue noire.
Au-dessus des collines qui séparent Marengo de la mer, le ciel était plein de rougeurs.
Ce qui me frappait dans leur visages, c'est que je ne voyais pas leurs yeux, mais seulement une lueur sans éclat au milieu d'un nid de rides.
Cela ne veut rien dire.
Cette hâte, cette course, c'est à cause de tout cela sans doute, ajouté aux cahots, à l'odeur d'essence, à la réverbération de la route et du ciel, que je me suis assoupi.
Cette présence dans mon dos me gênait.
Cette vieille incommode leur avait fait des visages de cendre.
Comme il était occupé, j'ai attendu un peu.
Comme il se sentait valide, il s'était proposé pour cette place de concierge.
Comme je ne comprenais pas, j'ai regardé l'infirmière et j'ai vu qu'elle portait sous les yeux un bandeau qui faisait le tour de la tête.
Comme je n'avais pas de chapeau, je m'éventais avec mon mouchoir.
Comme j'aime beaucoup le café au lait, j'ai accepté et il est revenu un moment après avec un plateau.
C'est à ce moment que je me suis aperçu que Pérez claudiquait légèrement.
C'est à ce moment que je me suis aperçu qu'ils étaient tous assis en face de moi à dodeliner de la tête, autour du concierge.
C'est à ce moment que les amis de maman sont entrés.
C'est alors qu'il m'avait appris qu'il avait vécu à Paris et qu'il avait du mal à l'oublier.
C'est un frôlement qui m'a réveillé.
C'est un petit vieux, avec la Légion d'honneur.
C'est un peu pour cela que dans la dernière année je n'y suis presque plus allé.
C'était peut-être hier.
C'était plutôt à lui de me présenter ses condoléances.
C'était une belle journée qui se préparait.
C'était une salle très claire, blanchie à la chaux et recouverte d'une verrière.
C'était vrai.
Dans la petite morgue, il m'a appris qu'il était entré à l'asile comme indigent.
Dans les premiers jours où elle était à l'asile, elle pleurait souvent.
Dans l'escalier il m'a expliqué : « Nous l'avons transportée dans notre petite morgue. Pour ne pas impressionner les autres. Chaque fois qu'un pensionnaire meurt, les autres sont nerveux pendant deux ou trois jours. Et ça rend le service difficile. »
De grosses larmes d'énervement et de peine ruisselaient sur ses joues.
De temps en temps seulement, j'entendais un bruit singulier et je ne pouvais comprendre ce qu'il était.
Derrière, le directeur, moi-même et, fermant la marche, l'infirmière déléguée et M. Pérez.
Deux d'entre eux, au centre, supportaient une bière recouverte de son couvercle.
Deux frelons bourdonnaient contre la verrière.
Devant la porte, il y avait la voiture.
Devant la porte, il y avait une dame que je ne connaissais pas : « M. Meursault », a dit le directeur.
Devant le bâtiment, il y avait le curé et deux enfants de choeur.
Devant moi, il n'y avait pas une ombre et chaque objet , chaque angle, toutes les courbes se dessinaient avec une pureté blessante pour les yeux.
D'avoir fermé les yeux, la pièce m'a paru encore plus éclatante de blancheur.
Elle a incliné sans un sourire son visage osseux et long.
Elle avait raison.
Elle avait une voix singulière qui n'allait pas avec son visage, une voix mélodieuse et tremblante.
Elle était au second rang, cachée par une de ses compagnes, et je la voyais mal.
Elle était meublée de chaises et de chevalets en forme de X.
Elle m'a dit : « Si on va doucement, on risque une isolation. Mais si on va trop vite, on est en transpiration et dans l'église on attrape un chaud et froid. »
Elle pleurait à petits cris, régulièrement : il me semblait qu'elle ne s'arrêterait jamais.
Elle reniflait beaucoup.
Elle s'est tue enfin.
Elles s'étalaient, se rejoignaient et formaient un vernis d'eau sur ce visage détruit.
En même temps, il s'essuyait la crâne avec un mouchoir qu'il tenait dans sa main gauche, la main droite soulevant le bord de sa casquette.
En principe, les pensionnaires ne devaient pas assister aux enterrements.
En somme, je n'avais pas à m'excuser.
En sortant, et à mon grand étonnement, ils m'ont tous serré la main - comme si cette nuit où nous n'avions pas échangé un mot avait accru notre intimité.
Ensuite il m'a dit qu'il assisterait à l'enterrement et je l'ai remercié.
Ensuite, il a beaucoup bavardé.
Ensuite, il s'est tu.
Ensuite, je ne sais plus.
Et aussi parce que cela me prenait mon dimanche - sans compter l'effort pour aller à l'autobus, prendre des tickets et faire deux heures de route.
Et derrière nous, les conversations reprenaient.
Et je sentais le sommeil me gagner.
Et le vent qui passait au-dessus d'elles apportait ici une odeur de sel.
Et quand je me suis réveillé, j'étais tassé contre un militaire qui m'a souri et qui m'a demandé si je venais de loin.
Ici on n'a pas le temps, on ne s'est pas fait à l'idée que déjà il faut courir derrière le corbillard.
Ici, le directeur a souri.
Il a ajouté : « Vous savez, elle avait des amis, des gens de son âge. Elle pouvait partager avec eux des intérêts qui sont d'un autre temps. Vous êtes jeune et elle devait s'ennuyer avec vous. »
Il a bégayé un peu : « On l'a couverte, mais je dois dévisser la bière pour que vous puissiez la voir. »
Il a consulté un dossier et m'a dit : « Madame Meursault est entrée ici il y a trois ans. Vous étiez son seul soutien. »
Il a ordonné dans le téléphone en baissant la voix : « Figeac, dites aux hommes qu'ils peuvent aller. »
Il a perdu son oncle, il y a quelques mois.
Il a pris le téléphone en main et il m'a interpellé : « Les employés des pompes funèbres sont là depuis un moment. Je vais leur demander de venir fermer la bière. Voulez-vous auparavant voir votre mère une dernière fois ? »
Il a répété en montrant le ciel : « Ça tape. »
Il a repris encore à travers champs et comme cela plusieurs fois.
Il a réveillé les autres et le concierge a dit qu'ils devraient partir.
Il avait de beaux yeux, bleu clair, et un teint un peu rouge.
Il avait dû courir.
Il avait soixante-quatre ans et il était parisien.
Il avait un feutre mou à la calotte ronde et aux ailes larges (il l'a ôté quand la bière a passé la porte), un costume dont le pantalon tire-bouchonnait sur les souliers et un noeud d'étoffe noire trop petit pour sa chemise à grand col blanc.
Il commençait à peser sur la terre et la chaleur augmentait rapidement.
Il crachait dans un grand mouchoir à carreaux et chacun de ses crachats était comme un arrachement.
Il est entré ; je l'ai suivi.
Il est sorti, est revenu, a disposé des chaises.
Il faisait doux, le café m'avait réchauffé et par la porte ouverte entrait une odeur de nuit et de fleurs.
Il faisait très chaud.
Il marchait avec beaucoup de dignité, sans un geste inutile.
Il me semblait que le convoi marchait un peu plus vite.
Il m'a appelé « mon fils » et m'a dit quelques mots.
Il m'a averti que moi et lui serions seuls, avec l'infirmière de service.
Il m'a dit que ce n'était pas possible.
Il m'a dit que non.
Il m'a dit que souvent ma mère et M. Pérez allaient se promener le soir jusqu'au village, accompagnés d'une infirmière.
Il m'a dit : « Vous comprenez, c'est un sentiment un peu puéril. Mais lui et votre mère ne se quittaient guère. À l'asile, on les plaisantait, on disait à Pérez : « C'est votre fiancée. » Lui riait. Ça leur faisait plaisir. Et le fait est que la mort de Mme Meursault l'a beaucoup affecté. Je n'ai pas cru devoir lui refuser l'autorisation. Mais sur le conseil du médecin visiteur, je lui ai interdit la veillée d'hier. »
Il m'a dit : « Vous ne voulez pas ? »
Il m'a donné une chaise et lui-même s'est assis un peu en arrière de moi.
Il m'a fait signer un certain nombre de pièces.
Il m'a invité à me rendre au réfectoire pour dîner.
Il m'a offert alors d'apporter une tasse de café au lait.
Il m'a prévenu qu'il faudrait au moins trois quarts d'heure de marche pour aller à l'église qui est au village même.
Il m'a regardé de ses yeux clairs.
Il m'avait dit qu'il fallait l'enterrer très vite, parce que dans la plaine il faisait chaud, surtout dans ce pays.
Il n'a pas répondu.
Il n'y avait pas d'issue.
Il se hâtait en balançant son feutre à bout de bras.
Il s'approchait de la bière quand je l'ai arrêté.
Il s'est assis derrière son bureau, il a croisé ces petites jambes.
Il s'est assis près de moi.
Il s'est interrompu et j'étais gêné parce que je sentais que je n'aurais pas dû dire cela.
Il y a eu du remue-ménage derrière les fenêtres, puis tout s'est calmé.
Il y a eu encore l'église et les villageois sur les trottoirs, les géraniums rouges sur les tombes du cimetière, l'évanouissement de Pérez (on eût dit un pantin disloqué), la terre couleur de sang qui roulait sur la bière de maman, la chair blanche des racines qui s'y mêlaient, encore du monde, des voix, le village, l'attente devant un café, l'incessant ronflement du moteur, et ma joie quand l'autobus est entré dans le nid de lumières d'Alger et que j'ai pensé que j'allais me coucher et dormir pendant douze heures.
Il y avait longtemps que j'étais allé à la campagne et je sentais quel plaisir j'aurais pris à me promener s'il n'y avait pas eu maman.
Ils avaient tous beaucoup de peine pour moi et Céleste m'a dit : « On n'a qu'une mère ».
Ils étaient affaissés, mornes et silencieux.
Ils étaient en tout une dizaine, et ils glissaient en silence dans cette lumière aveuglante.
Ils ne s'en apercevaient pas tant ils étaient absorbés dans leur pensées.
Ils regardaient la bière ou leur canne, ou n'importe quoi, mais ils ne regardaient que cela.
Ils se sont assis sans qu'aucune chaise grinçât.
Ils se sont levés.
Ils se taisaient quand nous passions.
Immédiatement, il a répondu : « Cinq ans » - comme s'il avait attendu depuis toujours ma demande.
Je crois plutôt qu'ils me saluaient.
Je crois que j'ai somnolé un peu.
Je les voyais comme je n'ai jamais vu personne et pas un détail de leurs visage ou de leurs habits ne m'échappait.
Je lui ai demandé si on pouvait éteindre une des lampes.
Je lui ai dit : « Comment ? »
Je lui ai fait remarquer qu'en somme il était un pensionnaire.
Je lui ai même dit : « Ce n'est pas de ma faute ».
Je l'ai cherché du regard et j'ai vu qu'il avait quitté la route et pris à travers champs.
Je l'ai remercié.
Je me souviens qu'à un moment j'ai ouvert les yeux et j'ai vu que les vieillards dormaient tassés sur eux-mêmes , à l'exception d'un seul qui, le menton sur le dos de ses mains agrippées à la canne, me regardait fixement comme s'il n'attendait que mon réveil.
Je me suis aperçu qu'il y avait déjà longtemps que la campagne bourdonnait du chant des insectes et de crépitements d'herbe.
Je me suis levé sans rien dire et il m'a précédé vers la porte.
Je me suis retourné et j'ai vu le vieux Pérez à une cinquantaine de mètres derrière nous.
Je me suis retourné une fois de plus : Pérez m'a paru très loin, perdu dans une nuée de chaleur, puis je ne l'ai plus aperçu.
Je me suis réveillé parce que j'avais de plus en plus mal aux reins.
Je m'étais un peu tourné de son côté, et je le regardais lorsque le directeur m'a parlé de lui.
Je ne sais pas pourquoi nous avons attendu assez longtemps avant de nous mettre en marche.
Je ne sais pas quel geste j'ai fait, mais il est resté, debout derrière moi.
Je ne voyais pas ce qu'elle faisait.
Je n'ai pas entendu le nom de cette dame et j'ai compris seulement qu'elle était infirmière déléguée.
Je n'ai plus beaucoup fait attention à lui.
Je n'avais encore jamais remarqué à quel point les vieilles femmes pouvaient avoir du ventre.
Je n'avais plus sommeil, mais j'étais fatigué et les reins me faisaient mal.
Je prendrai l'autobus à deux heures et j'arriverai dans l'après-midi.
Je regardais la campagne autour de moi.
Je respirais l'odeur de la terre fraîche et je n'avais plus sommeil.
Je suis allé dans son bureau.
Je suis entré.
Je trouvais ce qu'il racontait juste et intéressant.
J'ai bu.
J'ai compris que c'était M. Pérez.
J'ai compris que Pérez qui connaissait le pays coupait au plus court pour nous rattraper.
J'ai constaté aussi que devant moi la route tournait.
J'ai couru pour ne pas manquer le départ.
J'ai cru qu'il me reprochait quelque chose et j'ai commencé à lui expliquer.
J'ai demandé deux jours de congé à mon patron et il ne pouvait pas me les refuser avec une excuse pareille.
J'ai dit au concierge, sans me retourner vers lui : « Il y a longtemps que vous êtes là ? »
J'ai dit non.
J'ai dit : « Je ne sais pas. »
J'ai dit : « Oui, monsieur le Directeur. »
J'ai dit : « Oui. »
J'ai dit « oui » pour n'avoir plus à parler.
J'ai dormi pendant presque tout le trajet.
J'ai encore dit : « Oui. »
J'ai encore gardé quelques images de cette journée : par exemple, le visage de Pérez quand, pour la dernière fois, il nous a rejoints près du village.
J'ai encore pris du café au lait qui était très bon.
J'ai encore réfléchi un peu à ces choses, mais j'ai été distrait par une cloche qui sonnait à l'intérieur des bâtiments.
J'ai entendu en même temps le directeur me dire que la voiture attendait sur la route et le prêtre commencer ses prières.
J'ai eu alors envie de fumer.
J'ai eu un moment l'impression ridicule qu'ils étaient là pour me juger.
J'ai fait le chemin à pied.
J'ai mangé au restaurant, chez Céleste, comme d'habitude.
J'ai offert une cigarette au concierge et nous avons fumé.
J'ai pensé alors que je n'aurais pas dû lui dire cela.
J'ai pensé aux collègues du bureau.
J'ai pris l'autobus à deux heures.
J'ai reçu télégramme de l'asile : « Mère décédée. Enterrement demain. Sentiments distingués. »
J'ai réfléchi, cela n'avait aucune importance.
J'ai regardé aussi le directeur.
J'ai répondu : « Comme ça », parce que je ne savais pas le chiffre exact.
J'ai répondu : « Non. »
J'ai voulu voir maman tout de suite.
J'ai vu d'un coup que les vis de la bière étaient enfoncées et qu'il y avait quatre hommes noirs dans la pièce.
J'ai vu qu'il était habillé de noir avec un pantalon rayé.
J'aurais voulu ne plus l'entendre.
J'avais chaud sous mes vêtements sombres.
J'avais déjà été frappé par la façon qu'il avait de dire : « ils », « les autres », et plus rarement « les vieux », en parlant des pensionnaires dont certaines n'étaient pas plus âgés que lui.
J'avais même l'impression que cette morte, couchée au milieu d'eux, ne signifiait rien à leurs yeux.
J'étais fatigué.
J'étais intervenu pour dire : « Mais non. Mais non. »
J'étais surpris de la rapidité avec laquelle le soleil montait dans le ciel.
J'étais très étonné parce que je ne la connaissais pas.
J'étais un peu étourdi parce qu'il a fallu que je monte chez Emmanuel pour lui emprunter une cravate noire et un brassard.
J'étais un peu perdu entre le ciel bleu et blanc et la monotonie de ces couleurs, noir gluant du goudron ouvert, noir terne des habits, noir laqué de la voiture.
La femme pleurait toujours.
La garde est entrée à ce moment.
La garde était aussi au fond, le dos tourné.
La garde s'est levée et s'est dirigée vers la sortie.
La nuit a passé.
La pièce était pleine d'une belle lumière de fin d'après-midi.
La sueur coulait sur mes joues.
La voiture, peu à peu, prenait de la vitesse et le vieillard perdait du terrain.
Le ciel était déjà plein de soleil.
Le concierge a tourné le commutateur et j'ai été aveuglé par l'éclaboussement soudain de la lumière.
Le concierge a traversé la cour et m'a dit que le directeur me demandait.
Le concierge est venu alors de mon côté.
Le concierge m'a conduit chez lui et j'ai pu faire un peu de toilette.
Le concierge s'est penché vers elle, lui a parlé, mais elle a secoué la tête, a bredouillé quelque chose, et a continué de pleurer avec la même régularité.
Le curé marchait en avant, puis la voiture.
Le directeur m'a encore parlé.
Le directeur s'est levé et a regardé par la fenêtre de son bureau.
Le jour glissait sur la verrière.
Le petit vieux, qui s'était recouvert, a de nouveau ôté son chapeau.
Le prêtre, ses suivants, le directeur et moi-même sommes sortis.
Le soir était tombé brusquement.
Le soir, dans ce pays, devait être comme une trêve mélancolique.
Le soleil avait fait éclater le goudron.
Le soleil était monté un peu plus dans le ciel : il commençait à chauffer mes pieds.
Le vieux avait rougi et s'était excusé.
Les autres avaient l'air de ne pas l'entendre.
Les hommes étaient presque tous très maigres et tenaient des cannes.
Les hommes se sont avancés vers la bière avec un drap.
Les pieds y enfonçaient et laissaient ouverte sa pulpe brillante.
Les soupirs et les sanglots de la femme se faisaient plus rares.
Lorsqu'ils se sont assis, la plupart m'ont regardé et ont hoché la tête avec gêne, les lèvres toutes mangées par leur bouche sans dents, sans que je puisse savoir s'ils me saluaient ou s'il s'agissait d'un tic.
Lui était concierge, et, dans une certaine mesure, il avait des droits sur eux.
L'asile de vieillards est à Marengo, à quatre-vingts kilomètres d'Alger.
L'asile est à deux kilomètres du village.
L'éclat de la lumière sur les murs blancs me fatiguait.
L'éclat du ciel était insoutenable.
L'employé des pompes funèbres m'a dit alors quelque chose que je n'ai pas entendu.
L'installation était ainsi faite : c'était tout ou rien.
L'ordonnateur nous donna nos places.
L'un de ceux-ci tenait un encensoir et le prêtre se baissait vers lui pour régler la longueur de la chaîne d'argent.
L'un des hommes qui entouraient la voiture s'était laissé dépasser aussi et marchait maintenant à mon niveau.
Mais au mouvement de ses bras, je pouvais croire qu'elle tricotait.
Mais c'était à cause de l'habitude.
Mais en l'espèce, il a accordé l'autorisation de suivre le convoi à un vieil ami de maman : « Thomas Pérez ».
Mais il le fera sans doute après-demain, quand il me verra en deuil.
Mais il m'a interrompu : « Vous n'avez pas à vous justifier, mon cher enfant. J'ai lu le dossier de votre mère. Vous ne pouviez subvenir à ses besoins. Il lui fallait une garde. Vos salaires sont modestes. Et tout compte fait, elle était plus heureuse ici. »
Mais il n'avait pas l'air content.
Mais je crois maintenant que c'était une impression fausse.
Mais je ne l'écoutais presque plus.
Mais je n'avais pas faim.
Mais j'ai attendu dans la cour, sous un platane.
Mais j'ai hésité parce que je ne savais pas si je pouvais le faire devant maman.
Mais le concierge m'a dit qu'il fallait que je rencontre le directeur.
Mais naturellement, ce n'était pas la même chose.
Mais, à cause des rides, elles ne s'écoulaient pas.
Maman, sans être athée, n'avait jamais pensé de son vivant à la religion.
Moi, je sentais le sang qui me battait aux tempes.
Nous avons suivi les porteurs et nous sommes sortis de l'asile.
Nous avons tous pris du café, servi par le concierge.
Nous avons traversé une cour où il y avait beaucoup de vieillards, bavardant par petits groupes.
Nous nous sommes mis en marche.
Nous sommes descendus.
Nous sommes restés silencieux assez longtemps.
Nous sommes restés un long moment ainsi.
On aurait dit un jacassement assourdi de perruches.
On les laissait seulement veiller : « C'est une question d'humanité », a-t-il remarqué.
On l'aurait bien étonné en lui disant qu'il finirait concierge à l'asile de Marengo.
On ne voyait que la blancheur du bandeau dans son visage.
On voyait seulement les vis brillantes, à peine enfoncées, se détacher sur les planches passées au brou de noix.
Ou peut-être hier, je ne sais pas.
Pendant tout ce temps, le concierge a parlé et ensuite, j'ai vu le directeur : il m'a reçu dans son bureau.
Peu après, l'un des vieillards s'est réveillé et il a beaucoup toussé.
Peu après, une des femmes s'est mise à pleurer.
Pour le moment, c'est comme si maman n'était pas morte.
Pourtant je ne les entendais pas et j'avais peine à croire à leur réalité.
Pourtant je n'osais pas le lui dire.
Près de la bière, il y avait une infirmière arabe en sarrau blanc, un foulard de couleur vive sur la tête.
Presque toutes les femmes portaient un tablier et le cordon qui les serrait à la taille, faisait encore ressortir leur ventre bombé.
Puis il m'a dit : « Je suppose que vous voulez voir votre mère. »
Puis il m'a serré la main qu'il a gardée si longtemps que je ne savais trop comment la retirer.
Puis il s'est assis en face de moi, de l'autre côté de maman.
Puis je me suis souvenu qu'avant de me conduire chez le directeur , il m'avait parlé de maman.
Puis j'ai encore dormi.
Puis nous l'avons perdu.
Puis nous nous sommes rangés pour laisser passer le corps.
Quand elle est partie, le concierge a parlé : « Je vais vous laisser seul. »
Quand elle était à la maison, maman passait son temps à me suivre des yeux en silence.
Quand je suis parti, ils m'ont accompagné à la porte.
Quand je suis sorti, le jour était complètement levé.
Quand nous sommes arrivés, le prêtre s'est relevé.
Quelques gouttes de sueur perlaient sur son front, mais il ne les essuyait pas.
Sa femme lui avait dit alors : « Tais-toi, ce ne sont pas des choses à raconter à monsieur. »
Ses cheveux blancs assez fins laissaient passer de curieuses oreilles ballantes et mal ourlées dont la couleur rouge sang dans ce visage blafard me frappa.
Ses lèvres tremblaient au-dessous d'un nez truffé de points noirs.
Sur l'une d'elles, il a empilé des tasses autour d'une cafetière.
Toujours à cause de l'habitude.
Tout cela, le soleil, l'odeur de cuir et de crottin de la voiture, celle du vernis et celle de l'encens, la fatigue d'une nuit d'insomnie, me troublait le regard et les idées.
Tout s'est passé ensuite avec tant de précipitation, de certitude et de naturel, que je ne me souviens plus de rien.
Très vite, la nuit s'était épaissie au-dessus de la verrière.
Un peu après, il m'a demandé : « C'est votre mère qui est là ? »
Une chose seulement : à l'entrée du village, l'infirmière déléguée m'a parlé.
Vernie, oblongue et brillante, elle faisait penser à un plumier.
« Elle était vieille ? »

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